療術家 寄金丈嗣師に聞く武術由来 ‘’命を活かす力‘’
-Hiden : Cela semble inclure certains sujets philosophiques, ce qui rend ce terme plutôt complexe, non ?
— M.Yorikane : C’est vrai. Alors, passons rapidement sur cette partie (rires).
-Hiden : Pourriez-vous nous parler de votre rencontre avec le Kakki-jutsu ?
-M.Yorikane : J'ai d’abord appris un art martial appelé <Shinshin-ryu 真心流> par mon grand-père et également de mon maître, qui était une connaissance de mon grand-père, et ce jusqu’à son décès, alors que je terminais mes années au lycée. Le Kakki-jutsu, pour le dire simplement, est une sorte de technique thérapeutique dérivée de cet art martial, comme une “transmission additionnelle” de Shinshin-ryu. On pourrait dire que cela appartient au Kappo. En voyant des gens se blesser aux articulations pendant les entraînements, puis se faire soigner, je lui ai demandé « Comment fait-on ça ? » Mon maître m’a alors répondu « Tu t’intéresses à ce genre de choses ? » Et je lui ai répondu avec enthousiasme «Oui, bien sûr ! » C’est ainsi que j’ai commencé à apprendre.
-Hiden : Shinshin-ryu fait-il référence à Sekiguchi Shinshin-ryu ?
-M.Yorikane : Non, en fait, mon maître m’a remis un rouleau intitulé “Sekiguchi-ryu Jujutsu Ai-no-oku”, mais quand je lui ai posé cette même question, il m’a répondu qu’il y avait certes des échanges avec Sekiguchi-ryu mais qu’il s’agissait d’une école différente. Mon grand-père semblait d’ailleurs avoir des liens avec la famille Otani, un des célèbres maîtres d’arts martiaux de la fin de l’époque Edo. Sa tombe est située près de celle de la famille Otani. Quand j’étais enfant, je me souviens qu’on me disait d’aller prier devant leur tombe, on me prévenait qu’il s’agissait de la tombe d'un expert de Kenjutsu. Chronologiquement, je pense que mon grand-père n’a pas rencontré Otani Nobutomo lui-même, mais il devait avoir des relations avec ses proches. La famille Otani était également liée à Katsu Kaishū ainsi qu’à la famille Ishizaka, le médecin officiel du shogunat célèbre pour avoir introduit l’acupuncture à Siebold. Aujourd’hui, en pratiquant l’acupuncture, je ressens un lien particulier sachant que mes ancêtres sont enterrés au même endroit que la famille Ishizaka.
Le rouleau intitulé “Sekiguchi-ryu Jujutsu Ai-no-oku” que maître Yorikane a été confié par son maître.
-Hiden : Le Shinshin-ryu est-il une école de sabre ?
-M.Yorikane : C'est un art martial complet qui comprend le Jujutsu, le Iaido et l'Hojojutsu. Mais probablement parce que j'étais enfant, j'ai principalement appris le Jujutsu. J'ai aussi appris le Iaido pendant un certain temps. Quand mon maître m'a donné pour la première fois un sabre japonais, il a posé devant moi une coiffeuse, que les gens utilisaient autrefois, à peu près à la distance d'un tatami, et m'a demandé de me déplacer de manière à ce que ni mon corps ni mon sabre ne sortent du miroir. Il ne fallait pas beaucoup de force pour tenir le sabre. Il était assez difficile de bouger mes mains gauche et droite à la même vitesse et d'utiliser mon corps pour le retirer. Il m'a fallu plusieurs heures pour y arriver la première fois. Un vieil homme de plus de 80 ans m’enseignait. J’avais un peu honte qu’il prenne le temps de s’occuper de mon incapacité, alors j’ai fini par abandonner au milieu du chemin. Je me souviens encore très clairement de son enseignement. Aujourd’hui je regrette profondément d’avoir laissé passer cette chance.
-Hiden : Vous pratiquiez principalement le Jiu-Jitsu à cette époque ?
-M.Yorikane : Oui, c'est vrai. Mon maître essayait de me transmettre correctement le Kata. Une fois, je regardais un match de Judo à la télévision et il m’a personnellement avoué que la pratique n’était pas correcte lorsque le corsage se défaisait. Les habits de judo (Dogi) sont volontairement conçus pour s'entraîner à suivre les tractions et les poussées de l'adversaire sans se faire déshabiller. Selon lui, on ne pratique pas le vrai Judo lorsque le torse se retrouve dévêtu de cette façon. Il m’expliquait qu’avant les gens portaient des vêtements japonais. Mais comme ils portent aussi des vêtements sans col désormais, où la peau devient plus facilement accessible, alors il valait sans doute mieux pratiquer ainsi pour certains mouvements. Mais c’est surtout le côté thérapeutique des arts martiaux qui m’intéressait le plus, et il me l'a enseigné avec beaucoup d'enthousiasme.
-Hiden : Quand vous dites « personnellement », vous voulez dire qu'il ne l'a pas expliqué à d'autres personnes ?
— M.Yorikane : À cette période, la plupart des personnes qui suivaient ses cours étaient des adultes. Le fils de mon maître est mort à la guerre. J'étais le seul enfant. Des policiers étaient là également, mais j'avais l'impression d'être le seul à obtenir ce genre d'explications. Je séchais l'école, j'étais très impliqué dans la pratique. J’ai pu apprendre beaucoup de choses en plus des arts martiaux.
Dans la photo, maître Yorikane montre une des techniques fondamentales en Kakki-jutsu ; cette technique transmet la force de l'extrémité au centre du corps avec pour conséquence différents effets. Il est important d'appliquer cette technique en faisant attention à la localisation des os et des ligaments.
-Hiden : Est-ce que cette pratique se rapproche de l'ostéopathie ?
-M.Yorikane : Cela en fait partie, mais les premières choses que j'ai apprises ont été le Sasuri, le Hatsuriki et le Yubimomi, que j'ai brièvement présentées dans le dossier spécial de ce magazine sur le thème « Les mains des bujutsu* » (publié dans le numéro de septembre 2017). J'ai également présenté la méthode de Hatsuriki dans l'article de Mickaël Martin (publié dans le numéro de janvier 2018). Quant à Yubimomi, on peut dire qu’au début je m’interrogeais sur sa nature, sa définition, mais je comprends maintenant qu’il implique de nombreux éléments différents : comment avoir des mains de thérapeutes et une manière de transmettre la force, etc.
-Hiden : Est-ce plus thérapeutique que l'ostéopathie ? Ou que les méthodes de réanimation décrites dans les livres ?
-M.Yorikane : Je pense que tous les lecteurs de Hiden connaissent les « cinq positions du corps *». Il m'a également montré une illustration (ci-dessous). Pour vous faire une petite introduction : « la terre est terre, roche et sable, et tous ceux qui se trouvent sur la terre grandissent et bougent en mangeant les choses faites à partir de la terre. Ce sont des mots du château sur le sable. Pourtant, il y a des choses utiles dans le sable. L'eau suit la forme d'un récipient, mais sans récipient, elle n'a pas de forme. L'eau se disperse en éteignant le feu. Bien qu’elle n’ait aucune forme, nous savons que tous les êtres vivants sont comme l’eau. Lorsque vous retirez le caractère de l'eau (水) de celui de l'urine (尿), il reste le caractère de mort (尸) . Je ne pense pas que ce genre de choses intéressera les lecteurs de "Hiden" Il vaut mieux que je m'arrête ici.
-Hiden : L'avez-vous compris ?
-M.Yorikane : C'était difficile. À l'époque, j'étais un adolescent effronté qui lisait des livres de Paul-Michel Foucault sur l'épistémè Il semblait avoir une certaine croyance et quelques connaissances dans le bouddhisme. Ce n'est que bien plus tard que j'ai senti que je commençais à comprendre ces choses. J'ai beaucoup de chance d'avoir rencontré de bons maîtres et gardé un lien avec eux. Je ne pense pas que j'aurais pu approfondir ma compréhension de la philosophie basée sur ces cinq principes sans avoir découvert le moine Kenzo Hojo, érudit de l'école Toyozan de la secte de Shingon, notamment par l’intermédiaire de son livre « Le secret des neuf lettres des cinq anneaux ». J’ai aussi l'impression de commencer à comprendre le sens et la profondeur des enseignements de « Kakki-jutsu » depuis que j’ai obtenu mon diplôme d'acupuncture, de même qu’après avoir lu le « Classique intérieur de l'Empereur Jaune » et étudié diverses autres choses. Mon maître d’arts martiaux, qui m'a enseigné le Shinshin-ryu, était dans le département de renseignement du chemin de fer de Mandchourie. Il me disait que les arts martiaux japonais consistaient simplement à baisser la main levée et qu’il fallait également étudier ce que la Chine avait à proposer. Je me suis donc intéressé aussi aux arts martiaux chinois.
-Hiden : Que veut dire « baissez simplement votre main levée » ?
— M.Yorikane : Je pense qu’il parlait de façon globale, en suggérant que cela inclut les techniques de « kiri-otoshi » et « ichi no tachi » de l'école Itto. Les arts martiaux japonais ont une nature inductive tandis que les arts martiaux chinois ont une nature déductive. C'est une sorte de trait ethnique. Lorsqu’il s’agit de neutraliser un adversaire dans un court laps de temps, c’est-à-dire de le tuer, je ne pense pas que les arts martiaux japonais puissent rivaliser avec ceux de la Chine. Après tout, les Japonais disent des choses comme : « si on leur parle, ils comprendront », ils parlent de « l'esprit d'harmonie », insistent sur le fait de « ne combattre et blesser personne », tandis que des gens qui combattaient sur un vaste continent, dans un environnement où il était difficile de communiquer les uns avec les autres, n’avaient pas pour désir de prendre le temps de se parler ou n’avaient pas même l’occasion de pouvoir se parler. En réalité, il y avait un sentiment d’urgence qui amenait à tuer rapidement plutôt que d'utiliser des techniques de désarticulation.
Le pagode dans le tableau exprime les cinq éléments de la terre : l'eau, le feu, le vent et le ciel, de bas en haut. Cette idée correspond aux divers éléments de l’univers ainsi qu’aux cinq parties du corps. L'interprétation du sens des symboles est différente de celle de l'école des arts martiaux du Japon médiéval.
—Hiden : Vous avez mentionné tout à l'heure une méthode pour réanimer les organes internes. Existe-t-il d'autres méthodes en Kakki-jutsu que celles soignant les traumatismes externes ?
— M.Yorikane : Il existe une technique appelée « Yinkatsu ». C'est ce qu'on appelle la « méthode Sankatsu ». Elle inclut « le Nōkatsu » (c’est-à-dire l'activation cérébrale), le Saikatsu et le Sokkatsu », dont chacun a un aspect yin et yang. Les techniques du Nōkatsu n'est pas peut être à l’origine de la technique qui est actuellement pratiquée sous le nom de thérapie craniosacrale. C'est ce que je pense.
-Hiden : Qu'est-ce que cela signifie?
-M.Yorikane : Pour autant que je sache, je n'ai jamais vu de technique « Yinkatsu » dans le domaine du Kappo. Concernant le Nokatsu, un livre publié par Maître Kozui Tsuruyama comprenait l’illustration d'une personne plaçant ses mains à l'arrière de la tête, il est donc possible que les techniques du Nōkatsu ne soient pas exclusives aux techniques du Kakki-jutsu. Cela faisait sans doute partie de savoirs anciens à mon avis. D'après ce que j'ai pu en lire dans le livre de Tsuruyama Shihan, elle semble cependant ressembler à celle du Kakki-jutsu, mais le contenu est assez différent.
-Hiden : La thérapie craniosacrale se compose des termes « crâne » et « sacrum », non ?
-M.Yorikane : C'est bien ça. Dans le Kakki-jutsu, il existe une transmission orale qui explique que si l’on ne peut pas appliquer le Nokatsu, il faut alors prendre les pieds. Le Nōkatsu et le Sokkatsu (manipulation des pieds) constituent un ensemble fondamental. Certaines personnes n'aimeraient pas être touchées au niveau du sacrum. Dans le Kakki-jutsu, on agit sur le corps à travers les pieds. Cela ne veut pas dire qu’il n’existe pas de techniques uniques pour manipuler le sacrum, mais celui-ci se pratique plutôt en conjonction avec la colonne vertébrale.
Il existe de nombreuses transmissions orales liées aux arts martiaux et au Shinpo(※1). Des concepts tels que « sawari, okori, kake et hanare »(※2) en kakki-jutsu sont presque les mêmes que ceux du jujutsu. Lorsqu'on parle des cinq éléments bouddhistes, on dit que « le feu et l'eau ne peuvent pas tenir seuls, il faut qu’ils s'aident l'un l'autre pour relever le défi »(※3). Dans le Shinpō ou l'histoire du jikutori (※4), on dit que « TengyoKen (※5) ramène vers le pilier divin (※6) en recevant en face le vent de l'est en pleine voile » (※7). Il existe aussi un concept appelé « Awase », « Utsusemino tamanoyukuheha shiranedomo todomutokoroni nakiwosire » (※8) Celui-ci a probablement le poème principal (※9). Mais on ne peut pas le comprendre sans avoir une certaine éducation.
À cette époque, je savais ce que signifiait « 東風 »(※10) mais je ne connaissais pas la signification de « 艢風»(※11). Les intellectuels de l’ère Meiji étaient vraiment impressionnants. Comme j'étais mineur j’avais l’opportunité de poser beaucoup de questions et d’apprendre d’eux. De son côté, mon maître devait se dire : “Ce n’est qu’un gamin, tant pis…” Cela devait être assez pénible pour lui de m’enseigner, moi qui avais l’âge de ses petits-enfants. J’ai tellement de souvenirs que si je commence à en parler, cela n’en finira pas. Mais il était vraiment très gentil avec moi. Une fois je lui ai demandé pourquoi il faisait autant pour moi, et il m’a répondu : “Tu as 天稟 un talent.” Mais à cette époque, je ne savais même pas ce que signifiait “天稟”(※12).
※1 : se traduit par : la méthode de l'esprit, c'est le terme qu'on utilise dans des arts martiaux japonais. ※2 : Ce sont les termes : comment toucher, commencer, aborder et quitter. ※3 : Il est récité comme une ancienne poésie. Le secret de l'école a été souvent transmis sous forme de poésie. ※4 : se traduit par : pilotage mais il y aussi le sens d'axe ici. ※5 : se traduit par : le fonctionnement du ciel. C'est un mot utilisé dans l’ancien livre chinois "Yi Jing". ※6 : le terme vient du shintoïsme, on le trouve dans l’histoire sur la création du Japon ※7 : ainsi que ci-dessus, il est également écrit en forme de poésie. ※8 : se traduit par : je ne sais pas où ira l'âme de la cigale, mais là où sa coquille est laissée on sait qu'il ne reste rien. ※9 : en ancienne poésie japonaise, il existe une technique d’écriture de poème qui consiste à reprendre une partie d'un poème existant (poème principal par rapport au poème qui a été créé ensuite ) ※10 : C'est un mot signifiant le vent d'est en ancienne poésie. ※11 : C'est un mot qui signifie le vent que le mât et les voiles reçoivent, mais ce mot n’est plus utilisé maintenant. ※12 : il s’agit d’un terme littéraire pour dire un talent, un don. Le mot n’est aujourd’hui plus très courant.
Un extrait du livre de Kakuzan. Il parle de la nōkatsu (activation cérébrale), mais il est clair que cela diffère du kakki-jutsu. Ici, on nous le décrit comme une méthode utile pour faire face à une perte de conscience, comme une syncope, par exemple. Il est intéressant de noter que des techniques de haikatsu (réanimation dorsale) sont mentionnées dans le cas où la nōkatsu ne suffirait pas à ranimer la personne. Il existe également une technique appelée Haikatsu en Kakki-jutsu.
-Hiden : En conséquence, vous enseignez le Kakki-jutsu dans le style Terakoya(※une école locale de l'époque médiévale) principalement à des thérapeutes. Y a-t-il quelque chose auquel les thérapeutes doivent faire attention lors de l’acquisition de telles compétences ?
-M.Yorikane : Eh bien, il y a souvent des gens qui se vantent du nombre de techniques dont ils disposent, ou qui se disent avoir les mains de Dieu, mais je pense qu'ils ont tout simplement la chance d'avoir de bons patients. Une personne ne peut pas devenir un dieu, donc peu importe ses compétences, il peut toujours y avoir des nuits qui ne finissent jamais et une pluie qui ne s'arrête jamais. Nous pouvons seulement aider le corps à retrouver son état normal en comprenant correctement son fonctionnement et en l’utilisant de manière appropriée. En fin de compte, c’est la patiente elle-même qui pourra changer son corps, il y a donc une limite à ce que les autres peuvent faire. Plus il y a de patients, plus il peut y avoir de cas : une patiente qui arrive avec une canne et repart sans, une lombalgie aiguë soignée en une seule séance… Ce sont des guérisons qui peuvent même devenir habituelles, mais il ne faut surtout pas commencer à se satisfaire de cela et à s’en enorgueillir, car lorsqu’un patient se présente avec des symptômes étranges, on s’aperçoit que l’on manque encore d’apprentissage. Je crois qu’il faut toujours essayer de regarder vers l'avenir, tout en respectant ceux qui nous ont précédés en nous appuyant sur leurs expériences, mais sans se laisser tromper par leurs expériences. Nous devons continuer.
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t.amidado